Et, puis…
Et, puis, vient l’âge où l’on n’a plus besoin de compter les jours, où l’on peut rester, infiniment allongé, sans bouger, enfin libéré de l’absurde obligation de turbiner, de produire pour accumuler tous ces biens futiles et inutiles à la société. L’âge aux frustrations inimaginables, des colères silencieuses, des vagues écumantes. L’âge où on abandonne l’idée d’être quelqu’un, l'âge de ne vouloir ressembler à rien…
Et, puis, vient l’âge qui cesse de nous mener à quoi que ce soit, où on ne se préoccupe plus de son propre corps, ni de son inertie, ni de son sommeil, ni de ses fringales, ni de ses bâillements, ni de ses toux, ni de la multiplication de palinkas, l’âge où l’on contraint ses oreilles à devenir sourdes, ses yeux à devenir aveugles et sa bouche muette aux vociférations de la société et aux hurlements de ses propres démons.
Et, puis, vient l’âge où on se laisse tomber lourdement sur une chaise, l’âge qui nous libère du besoin sordide de parler pour meubler le temps au milieu des clameurs, l’âge des raideurs hostiles, de l’oxygène raréfié, et des médicaments à ne pas oublier. L’âge où on nous annonce la mort d’un ami, où s’évanouissent nos plus lointains souvenirs, l’âge que certains appellent l’apogée et qu’il me plaît de nommer vieillesse, la route vers le terme, où abdique la perspective d’une nouvelle renaissance, où nous afflige la fuite, et la crainte des diagnostics.
Et puis vient l’âge d’une seule certitude : on n’a pu échapper au destin que l’on ne s’est pas forgé soi-même.