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Effluves et dénuements
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21 juin 2018

La Promenade

Il enfila sa veste, franchit le pas de la porte et se trouva dehors, le long des rues, sous un soleil de plomb.  Ses prunelles rétrécirent ; il attendit que ses yeux s’habituent à l’incandescente clarté,  descendit quelque peu la visière de sa casquette et entama sa promenade,  lentement, à son rythme. 

Jusqu’à la place Hillel, la route n’était qu’une longue descente, il ne rencontrait  pas de grosses difficultés.  Il se laissait prendre à la douceur de cette flânerie.   Il déambulait le long de l’avenue respirant l’odeur de la ville, gardant tous ses sens en éveil, le regard attiré par une arche, une poterne, la structure d’une porte ou une grille remarquable.  Ce qu’il regrettait dans ce paysage urbain, c’était ces longues enfilades de maisons semblables, sans aucune âme, et toutes, mais toutes en briques rouges.  Il y avait une overdose de briques rouges, des rues entières de maisons en briques rouges, les bâtiments se suivaient et se ressemblaient, tous en briques rouges !

Au bout de quelques centaines de mètres la fatigue se fit sentir.  Déjà.   Ses jambes devenaient lourdes, ça tirait sur le bas du dos, le corps trop pesant pour marcher.  Il pesta, maudit cette carcasse qui ne voulait plus suivre, avala sa salive, respira un bon coup et reprit sa marche, à petits pas.  Depuis longtemps il avait compris la situation, il se trainait.  Cette fatigue chronique ne s’effacerait plus, voilà un signe supplémentaire de la vieillesse. 

À présent, une crampe irradiait la hanche et le haut de sa cuisse.  Il finit par aller s’assoir à une terrasse pas trop encombrée.  Quelques minutes de repos lui feraient du bien, le temps d’avoir moins mal.  À peine assis, la douleur perdit de son intensité.   Il  commanda une bière, avec un grand col.  Pourquoi  ne pas se bourrer la gueule ? disait-il avec ironie mais il savait qu’il n’en ferait rien, même flottant à la dérive.  Chez lui, l’inaction amenait la réflexion, et toutes ces idées qui le traversaient et qu’il tentait en vain d’éviter.  Qu’es-tu en train de devenir ?  Qu’attends-tu encore de la vie ?   Physiquement ça n’allait plus du tout et on pouvait en dire autant du  psyché.  Il eut une pensée pour ce qui aurait pu être et qui n’avait pas été.  Ses rêves perdus.   Il éprouvait de plus en plus de difficultés à se concentrer sur quoi que ce soit.  Mais à quoi bon toutes ces questions ?  Je n’interroge pas, quand les questions ne servent à rien les réponses sont inutiles, disait Diderot.  Il ne voulait laisser aucune trace de son passage en ce monde, c’était aussi simple que cela, en pleine conscience.  Il avait envie de pleurer, c’en était pitoyable et tellement inattendu.

Cela fait un drôle d’effet de voir les choses sous cet angle.  Il vida son verre, buvant à petites gorgées  et commanda une autre bière.    Quelle heure pouvait-il bien être ?  Il avait perdu la notion du temps.  Il hochait la tête en murmurant « allons, cette promenade ne sera pas la dernière, demain ça ira mieux ».  Il admira son stoïcisme  mais il n’y croyait pas vraiment.  Il en était à la dernière phase de sa vie, peu à peu il s’éloignait du monde.  Et, c’était bien ainsi.

Lorsqu’il eut recouvré ses forces, il reprit sa marche.  Il était devenu plus silencieux, clopinait, tête basse, dos ployé, chemise déboutonnée, torse couvert de sueur ;  il se laissait complètement aller, sans forces, chaque pas était accompagné  d’un sifflement.  Il avait du mal à gérer les distances,  incapable de coordonner ses enjambées, attaqué par les crampes. Il vacillait dangereusement.   Il se mordit les lèvres.  On pouvait voir qu’une violente douleur le tenaillait à chaque effort fourni.  Il refusa d'écouter les battements, trop rapides, de son coeur.  Vaille que vaille, il parvint  à se trainer jusqu’à son domicile, tout essoufflé.  Il lui  restait le plus difficile : grimper, avec le peu de forces qu'il lui restait, les 38 marches jusqu'au deuxième étage. 

La ville était déjà assombrie par le crépuscule.  Les maisons semblaient baigner dans une atmosphère différente.  L’apparence des choses était changée. Le sommeil ne vint pas.   Toute la nuit il pleura.

Je  ne t’ai  jamais assez regardé, ni foulé ton visage d’une longue caresse.  Tu ne m’as jamais assez écouté, ni scruté dévotement mon silence Il suffisait peut-être de quelques détours de hasards probables !…

 

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  • Un blog forgé dans l’urgence. Un labyrinthe. Avant que notre image ne devienne floue..... Il me fallait une terre pour cracher ma colère Et retrouver une respiration plus légère .... Rien n’écarte les nuages du morne hiver.
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